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Les victimes de l’attentat à Nice deux ans plus tard : «On est toujours sous le choc »

Amie avait 12 ans quand elle a été tuée le 14 juillet 2016. Fresque par Nicola Antonia Schmid. © FB

Du temps. Et de l’attention psychologique. C’est cela dont les victimes ont le plus besoin pour reprendre leurs vies, explique Yassine Bourouais dans cet entretien avec Salam Plan. Il est le président de l’association des victimes de l’attaque de Nice « Promenade des Anges », paraphrasant le nom de la promenade des Anglais où le 14 juillet 2016 un terroriste a assassiné 86 personnes et a laissé des centaines de blessés, mais non seulement physiquement (450), aussi psychologiquement. L’état de choc pour de nombreux survivants continue.

Le terroriste Mohammed Lahouaiej-Bouhlel a loué un camion pour foncer sur les gens qui se sont rassemblés pour la fête nationale française. Il a passé à 5 mètres de Yassine Bourouais. Il dit que beaucoup de ceux qui ont survécu n’ont pas pu retourner au travail ; lui-même, il commence à revenir maintenant de profondes dépressions et n’a pas pu retourner à son travail comme psychologue. D’autres personnes ont quitté Nice et de nombreux enfants ne sont pas allés à l’école l’année suivante à l’attaque, certains ne sont pas non plus allés le cours qui vient de s’achever.

1.100 enfants sont inscrits à l’hôpital pédiatrique de Nice pour y recevoir des soins psychiatriques, soit pour avoir été à l’endroit immédiat de l’attentat, soit parce qu’ils sont affectés à travers les réseaux sociaux et leur environnement. Ils doivent attendre trois ou quatre mois pour avoir un rendez-vous, car les ressources sont limitées, dénonce Bourouais.

Un tiers des victimes était musulman. « Je ne sais pas si de confession, mais d’éducation ou culture », indique le président de cette association de victimes. Il connaît des cas de survivants musulmans qui ont dû écouter des insultes à la suite de l’attaque, mais il souligne que dans leur association tous sont égaux et aucune distinction n’est faite entre les religions. Précisément, les différentes cérémonies d’hommage aux victimes du deuxième anniversaire de l’attaque ce samedi à Nice comprennent une célébration interreligieuse.

Deux ans après l’attentat, quels sont les demandes principales des victimes de votre association ?

Yassine Bourouais. Photo cédée.

Deux ans après les victimes sont toujours en état de sidération, on vient de comprendre -pour beaucoup- maintenant ce qui s’est passé, les personnes qu’on a perdues, on vient de sortir maintenant de notre isolément. Alors, on demande de la prise en charge psychologique.

Ensuite, il y a beaucoup qui se trouve dans la situation de perte d’emploi, de la capacité d’exercer leurs métiers. Donc pour ceux-ci on demande de la formation professionelle, un financement de formation dont l’objectif est la reconversion professionelle, c’est-à-dire : recommencer la vie à cero.

Ça c’est pour les victimes blessées, j’imagine.

Que ce-soit pour les blessés physiques ou psychologiques, ou même pour les familles en deuil. Franchement, c’est difficile de reprendre sa vie normalement avec les mêmes compétences. J’ai connu beaucoup de victimes qui sont allées vivre ailleurs pour pouvoir se reconstruire.

Ça demande beaucoup de temps, ce n’est pas un travail qu’on peut faire en deux ans. Deux ans, c’est toujours tôt. Ça va prendre des années.

Est-ce que les autorités, l’État, la mairie vous aident ?

On est toujours en contact avec les autorités locales, la mairie, la préfecture ou même l’État. Il y a des choses qui sont en train de se mettre en place progressivement, mais ça demande beaucoup de temps.

On a des besoins directement liés à l’attentat. J’ai des familles en deuil qui cherchent toujours les objets de leurs décédés, que deux ans après les familles reçoivent les rapports d’autopsie…

Deux ans après ?

Oui, les victimes n’étaient pas dans la capacité d’aller chercher ces pièces de documents, mais maintenant les victimes commencent à sortir de leur isolément. C’est douloureux pour beaucoup de familles.

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Vous-êtes victime vous-même, alors vous savez comment c’est vivre jour à jour ce drame.

Je suis un survivant de cet attentat. J’étais sur la Promenade des Anglais le 14 juillet 2016, j’étais au maximum à cinq mètres du camion, donc j’ai frôlé la mort. C’est-ce qui m’a encore plus blessé c’est le fait de rester sur place dans les heures qui ont suivi l’attentat. J’essayais d’aider les personnes, d’aider les blessés… C’était dramatique de voir les gens mourir. Je ne pouvais rien faire. C’était très, très violent.

Comment est-ce qu’on affronte le jour à jour après.

Moi, au début c’était une crise qui va passer, je suis allé passer quelques jours de vacances. T’éloigner de Nice, ça va t’aider. Et puis, après c’est la chute aux enfers. J’ai souffert de dépression profonde à partir de novembre 2016.

Je me relève doucement, doucement. Je n’ai pas encore repris mon activité professionnelle. Je me reconstruis, je suis toujours suivi par un psych… la vie n’est plus la même.

« Au début c’était une crise qui va passer, je suis allé passer quelques jours de vacances. T’éloigner de Nice, ça va t’aider. Et puis, après c’est la chute aux enfers »

Par exemple après le match de foot France-Belgique [cette semaine], il y a eu un mouvement de foule très près de moi ici à Nice, il y a eu des blessés. Et j’habite près d’une caserne de pompiers et j’ai perçu une activité inhabituelle des pompiers, c’est-à-dire, que j’ai vu la sortie des plusieurs ambulances et, franchement, ça m’a heurté beaucoup.

C’est-ce que j’ai vu c’était un retour… Je me suis de tout rappelé. J’ai appelé mes amis pour demander qu’est-ce qui se passe. Voilà, ce n’est pas encore fini, on est toujours sous le choc.

C’est très important ce que vous dites, parce que -au moins aux média- un an après tout le monde parle sur ça, mais deux ans après ceux qui n’ont pas vécu ce ça peut-être pensent que…

Que c’est facile de passer à une autre chose, mais ce n’est pas facile.

Votre association a remis au service de pédopsychiatrie de l’hôpital d’enfants de Nice 60.000 euros pour la prise en charge des enfants et des adolescents victimes de l’attentat. Combien des mineurs ont été victimes et est-ce que l’État n’offre pas le financement nécessaire pour une attention appropriée aux enfants victimes ?

À l’hôpital L’Enval de Nice, 1.100 enfants sont suivis pour des motifs de stress posttraumatique, de dépression et des phobies liées directement à l’attentat. Notre association a décidé de faire ce don pour aider l’hôpital, parce qu’on fait ça manque cruellement des moyens, ça manque cruellement des spécialistes -on n’a pas de pédopsychiatres spécialistes en psycho traumatisme.

L’État, ce qu’il propose reste des moyens basiques, je ne vois rien de spécifique pour les victimes. Il y a juste des moyens basiques : trois psychologues, deux psychiatres pour 1.100 enfants. Les familles, quand elles demandent un rendez-vous, ça peut prendre trois ou quatre mois pour avoir un premier rendez-vous.

Vous disiez que beaucoup d’entre les adultes n’ont pas repris leur travail. Que s’est-il passé dans le cas des enfants ? Est-ce qu’ils vont à l’école ?

L’année 2016-2017, beaucoup d’enfants ont été déscolarisés. Beaucoup ont appris le décès de leurs amis de l’école sur les réseaux sociaux. Même s’ils n’ étaient pas sur place pendant l’attentat, ils étaient impactés par les vidéos, par les médias et les réseaux sociaux. Aujourd’hui c’est problématique, parce qu’on n’arrive pas à identifier les problèmes de ces enfants.

J’ai vu quelques-uns qui sont toujours déscolarisés. Cette semaine j’ai reçu un mail de la maman d’une fille -qui a perdu à son frère- et qui était allé étudier ailleurs mais ça a été un échec et la maman voulais bien que sa fille revienne près d’elle.

Ça reste des cas individuels. On n’a pas un chiffre exact concernant des enfants ou adolescents déscolarisés, on a même des adultes universitaires…

« L’État, ce qu’il propose reste des moyens basiques, je ne vois rien de spécifique pour les victimes »

Êtes-vous satisfait avec l’enquête judiciaire sur l’attentat jusqu’à présent ? Un homme accusé d’être complice de l’auteur du massacre s’est suicidé ce mois de juin dans la prison pendant sa détention provisoire, selon Libération.

Nous attendons les résultats. Nous avons confiance en la justice française. L’association va se constituer en partie civile. On sait que ça va prendre plusieurs ans d’enquête et jusqu’ à là, on n’a pas d’information.

Depuis l’attentat, le Parquet a communiqué une seule fois avec nos victimes. Octobre prochain il y aura un autre rendez-vous avec le Parquet de Paris pour avoir les informations pour savoir les avances de l’enquête.

Est-ce que les victimes ont reçu leurs indemnisations de part de l’Etat ? Sont-elles justes ?

Il y a des provisions jusqu’à là, parce qu’il faut savoir : c’est un processus. Le fond des garanties attribue des provisions et puis la victime doit voire un médecin expert psychiatre. Dans la suite, s’il y a de consolidation, le fond des garanties propose une indemnisation définitive. Et s’il n’y a pas de consolidation du médecin, le fond verse encore des provisions. Les familles ont reçu les premières provisions, (mais) on n’est pas encore dans les indemnisations finales.

Juste pour des familles en deuil, on leur propose entre 45.000 et 60.000 euros. En termes de réparation, c’est insuffisant.

Après l’attentat il y a eu des donnés approximées qui parlait d’un tier des victimes mortelles étant musulmanes ? Pouvez-vous me confirmer cela et est-ce que les victimes survivantes musulmanes ont eu des problèmes supplémentaires après ?

Je ne peux pas confirmer qu’il s’agit vraiment des musulmans de confession, mais d’éducation ou culturel. Je connais des gens qui s’appelle Yassine, comme moi, ou Mohammed ou d’autres… mais enfin n’ont pas la pratique religieuse. Donc, je peux confirmer qu’il y a un tier de personnes décédées d’origine maghrébine, alors peut-être à priori on peut le dire, mais je ne connaissais pas leur foi.

Ce qui a été choquant après l’attentat, il n’y a pas eu un appelle à la solidarité nationale. Comme-ci, on a visé les musulmans de France pourraient être derrière cet attentat. Je sais de familles qui ont reçu des insultes racistes… Mais bon, je crois en la capacité de résilience et dans notre association on est une famille, on ne fait pas des différences entre les religions, on est tous des victimes et on se respecte.

« Il n’y a pas eu un appelle à la solidarité nationale. Comme-ci, on a visé les musulmans de France pourraient être derrière cet attentat »

Vous avez lancé une consultation concernant le mémorial des victimes du 14 Juillet 2016 pour décider sa forme, son emplacement… Quelles sont les possibilités ?

On a quatre possibilités, soit le garder au mémorial provisoire qu’il y a maintenant dans la Villa Masséna, sur la Promenade des Anglais, aux Jardins d’Albert I et la Colline du Château. Nous, on a lancé la consultation, qui va jusqu’au 15 août.

Il y a eu une partition de l’association, apparemment pour des buts différents des victimes. L’association Mémorial des Anges veut « un lieu de mémoire pour toutes les victimes du terrorisme en France et française hors sol français et de lutte contre la radicalisation et le terrorisme (…, un) Mémorial-Musée ». * Qu’est-ce que vous-en pensez ?

Franchement, il faut consulter les victimes. C’est-ce que j’ai fait, je demande la vie des victimes. Parce qu’on ne peut pas dire qu’on va faire un mémorial pour les victimes françaises mais on ne demande jamais la vie des victimes de Paris, par exemple. On ne demande jamais la vie des victimes de Carcassonne, de Marseille, de la région Rhônes-Alpes. Les victimes à Paris, par exemple, elles n’ont pas à ce jour aucun mémorial, ni provisoire ni définitif, donc il faut le temps en premier, il faut demander la vie de victimes aussi.

Qu’est-ce qu’on va faire avec tous les objets conservés que les gens ont laissé les jours après l’attaque dans la Promenade des Anglais pour leur rendre hommage ?

Ils sont conservés dans un centre d’archive. Ils ont été nettoyés et protégés. Maintenant, ce qu’on va faire, c’est à voir avec les victimes. On ne sait pas encore.

S’il y a quelque chose dont j’ai envie d’insister, c’est le temps : pour quelques familles, on peut passer à d’autres choses et faire un mémorial de mémoire, un mémorial définitif… pour beaucoup de familles, ce n’est pas encore le temps. Il faut laisser le temps à chacun. Si on fait quelque chose, on le fait avec l’aval de tout le monde.

Vous le dites comme psychologue aussi.

Je pense que c’est important, parce que la mémoire, c’est une construction. Il faut accepter les hommages, les indemnisations, le résultat de l’action pénale, la reconnaissance de l’État… Il faut accepter tout ça pour passer à la mémoire. Mais ça demande encore des années.

* Salam Plan a contacté par écrit avec l’association Mémorial des Anges pour interviewer aussi un de ses porte-paroles, mais n’a pas reçu aucune réponse.

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